L’Ours et la Lune, résumé

Claudel écrit L’Ours et la Lune à Rio de Janeiro en avril 1917, alors qu’il vient de rejoindre son poste de Ministre de France au Brésil, et qu’il se voit séparé de sa femme et de ses enfants restés en France. Cette farce pour marionnettes, écrite avec la collaboration de Darius Milhaud pour la musique, fut publiée à la NRF en 1919.

La scène 1 se déroule dans l’infirmerie d’un camp de prisonniers en Allemagne, à minuit, pendant la première guerre mondiale. Un prisonnier français pense à sa femme, à son fils Jean, un aviateur mort au combat, et à ses petits-enfants devenus orphelins. C’est alors qu’arrive la Lune qui, le transportant dans le pays des rêves, va lui faire voir la chambre de ses petits-enfants à Hostiaz. La scène se rétrécit, faisant apparaître un théâtre de marionnettes dans lequel seront jouées les scènes suivantes. La scène 2 montre le lit des enfants, où dort un ours en peluche. Apparaît la marionnette d’une vieille Lune ridicule qui s’adresse à l’Ours. Leur dialogue nous apprend que l’ours Brelebrun est en fait un financier véreux qui s’est refugié en Amérique du Sud après avoir ruiné ses actionnaires (dont le grand-père des petits-enfants, le prisonnier de la scène 1). Après avoir tenté en vain d’obtenir de l’Ours qu’il restitue l’argent volé (symbolisé par un gros diamant cousu dans les entrailles de la peluche), la Lune change de sujet et se met à parler de ses peines d’amour. Un personnage nommé le Chœur, armé d’une sorte de coupe-papier servant à mettre en pause les personnages et l’action, intervient pour faire avancer plus vite le dialogue : en bref la Lune est amoureuse d’un aviateur qui s’appelle Paul et qui a été amputé de ses jambes. Après avoir vérifié l’état des finances de la Lune, l’Ours, alléché par tant de richesses (que ne peut-on gagner en promettant la lune ?), se met au service de la vieille amoureuse pour l’aider à gagner le cœur de son aviateur mutilé. Rendez-vous est pris dans le salon d’une vieille fille qui fournit le cadre à la scène suivante. Lorsque débute la scène 3, l’Aviateur se trouve déjà dans le salon, en compagnie d’un personnage inexplicable que l’on appelle « le Rhabilleur ». Tandis que la Lune essaie de séduire l’Aviateur sans pieds, l’Ours se moque de ce dernier qui vient de recevoir une lettre de rupture de sa fiancée, peu empressée d’épouser un paralytique. Entremetteur zélé, l’Ours essaie de lui vendre les charmes de la Lune en guise de consolation. L’on apprend également que Paul est le beau-frère de Jean, l’aviateur mort, fils du prisonnier de la scène 1 et père des petits orphelins ruinés. Une certaine Rhodô, amoureuse éconduite de Jean, a pris en charge les enfants et consacre toute sa paie à les faire vivre. L’Ours essaie de marier Rhodô à Paul, l’Aviateur sans pieds, mais Rhodô restera fidèle à Jean qu’elle a toujours aimé et qui ne l’a pas épousée. Flairant les économies de Rhodô, l’Ours change d’idée et essaie de voler la jeune fille en lui faisant miroiter de beaux placements au Brésil ; mais celle-ci refuse encore. L’Ours essaie alors d’embrasser Rhodô pour s’emparer de son porte-monnaie. Cela déclenche une bataille générale au cours de laquelle l’Ours, éventré, laisse échapper le diamant qui explose en dégageant une lumière éblouissante. Au moment où l’on annonce le lever du soleil, tous les personnages s’enfuient pour laisser place à la scène 4. L’on retrouve toutes les marionnettes sur une grande route « qui monte à toute vitesse ». Tandis que l’Ours respire enfin, délesté de ce diamant qui lui collait à la peau comme un remord, Rhodô et le Chœur apprennent à l’Aviateur sans pieds à flotter dans les airs comme un cerf-volant. Arrive en trombe une automobile conduite par « le nain noir ». Tous embarquent et sont emmenés vers l’autre monde. La pièce s’achève à l’aurore sur le réveil du Prisonnier qui, après avoir connu en songes la joie de la délivrance mystique, se voit condamné à retrouver la vie sur terre, cette « captivité éternelle ».

Enchaînant des péripéties complexes avec l’illogisme du songe, la pièce superpose en fait trois farces pour marionnettes à l’intérieur du rêve du Prisonnier. La première farce consiste à contraindre l’Ours à rendre le diamant. A peine commencée, elle est remplacée par une seconde farce, ourdie par l’Ours et la Lune, qui consiste à décider l’Aviateur mutilé à épouser la Lune, autrement dit à le conduire, par la promesse d’un mariage illusoire, à accepter la trahison de sa fiancée et à renoncer à son nouvel amour malheureux pour Rhodô. Cette seconde farce est interrompue par la farce de l’Ours qui, se mettant soudain au service de ses propres intérêts, essaie de ravir à Rhodô un baiser, son cœur et ses économies. Cette dernière farce nous ramène à la première puisqu’au cours de la lutte, l’Ours se voit délesté de son diamant. La farce de la Lune et de l’Aviateur se révèle alors être « un petit complot » monté contre l’Ours pour le forcer à rendre l’argent volé. Le rêve du Prisonnier a donc un double dénouement : tandis que l’Ours est libéré de son attachement pour l’argent, l’Aviateur est libéré de ses désirs d’amour devenus impossibles et peut enfin planer. Tous ont appris les vertus du renoncement.

 

Sever MARTINOT-LAGARDE