Claudel traducteur

Comme Mallarmé traducteur de Poe ou Gide traducteur de Shakespeare, Claudel s’adonna à ce qu’il considérait comme un « bel art ». Il commença par s’attaquer à la tragédie grecque en proposant une version très personnelle de l’Orestie eschyléenne. De façon plus ponctuelle, il traduisit quelques poètes de langue anglaise. Il consacra les années de la maturité et de la vieillesse au latin de la Vulgate.

L’Orestie

Claudel est avant tout le traducteur de la trilogie qu’Eschyle fit représenter à Athènes en 458 avant Jésus-Christ. Conjuguant à la fois littéralité et travail de création, l’Orestie fait partie intégrante de l’œuvre dramatique claudélienne.
C’est à l’orée de sa carrière que Claudel entreprit de traduire le premier volet de la trilogie antique, l’Agamemnon. Commencée à la fin de 1892 ou au début de 1893 sur le conseil de son ami Schwob, lui-même traducteur – entre autres – d’Hamlet, la traduction fut achevée en 1895. Elle occupa Claudel pendant son premier séjour aux États-Unis, où il fit ses débuts dans la carrière diplomatique, à New York puis à Boston. Au dépaysement géographique auquel aspirait le lecteur de Rimbaud répondit l’expérience de décentrement culturel et esthétique que constituait pour lui cette plongée dans l’univers archaïque d’Eschyle. C’est en effet au miroir du tragique grec que se chercha et se forgea la poétique dramatique de Claudel. Il y trouva aussi la formation prosodique qu’il cherchait. Nombreuses sont les résonances entre l’Agamemnon et les textes dramatiques auxquels travailla alors le traducteur : Tête d’Or, La Ville, L’Échange. La traduction claudélienne de l’Agamemnon fut publiée en 1896, en Chine, où Claudel venait d’arriver comme gérant du consulat de Fou Tchéou. Un exemplaire en fut envoyé à Mallarmé à titre d’hommage.
Eschyle semblait oublié lorsqu’en 1912 Claudel proposa au metteur en scène Lugné- Poe de donner au Théâtre de l’Œuvre l’Agamemnon après L’Annonce faite à Marie. Le dramaturge songea ensuite à faire représenter la tragédie antique aux Chorégies d’Orange. Ces deux projets n’aboutirent pas mais ils encouragèrent le traducteur à compléter la trilogie. La rencontre d’un homme, Darius Milhaud, et la découverte d’un lieu, l’Institut d’Art à Hellerau, en Allemagne, jouèrent aussi un rôle important dans ce retour à Eschyle. Les Choéphores furent achevées en 1914, Les Euménides en 1916, tandis que Claudel travaillait à sa propre trilogie, L’Otage, Le Pain dur et Le Père humilié. Darius Milhaud, dont le poète avait fait la connaissance en 1912, composa la musique destinée à accompagner les pièces, ce qui alimenta non seulement la correspondance entre le compositeur et le traducteur mais aussi la réflexion du dramaturge sur la fonction de la musique dans le drame. Dans l’Orestie claudélienne, la musique intervient de façon très ponctuelle dans l’Agamemnon. Elle s’impose plus largement dans Les Choéphores. Les Euménides constituent un véritable opéra. Le travail sur les deux derniers volets de la trilogie antique coïncide avec les premières expériences scéniques de Claudel (représentations de L’Annonce en France en 1912, puis en Allemagne, à Hellerau, en 1913). « Telle est l’œuvre qui a transporté d’admiration ma jeunesse et dont l’étude patiente, sous la forme d’une traduction, a été l’occupation de nombreuses années de mon âge mûr » écrivit Claudel à propos de la trilogie eschyléenne. L’Orestie fut créée à l’Opéra de Berlin en 1963.

Les poètes de langue anglaise

De manière beaucoup plus ponctuelle, Claudel traduisit par ailleurs quelques poèmes de l’anglais : des pièces de Coventry Patmore entre 1901 et 1911, un texte de Thomas Lowell Beddoes (1930), « Leonainie » d’Edgar Poe (1905) ainsi qu’un poème de Sir Philip Sidney (1944).

Les textes bibliques

Claudel lut assidûment la Bible dans la version latine de la Vulgate élaborée par saint Jérôme au début du Ve siècle de notre ère. De cette intimité du poète avec les textes sacrés naquirent des textes très librement inspirés des Psaumes bibliques qui figurent dans l’Ancien Testament. Ils furent publiés en différents recueils : Prière pour les Paralysés suivie des Quinze Psaumes graduels (Ed. Horizons de France, 1944), Les Sept Psaumes de la Pénitence (Seuil, 1945), Paul Claudel répond les Psaumes (Ed. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1948). Le moderne psalmiste les présente ainsi : « Ce n’est pas beau. J’ai relu tout ce tas de psaumes que j’ai gribouillés depuis trois ou quatre ans, et non, sacrebleu, ce n’est pas beau ! Il ne s’agit pas de littérature ! » Sans doute ne faut-il pas croire sur parole l’auteur de ces lignes. Mais il est vrai que ces textes lus dans le latin de saint Jérôme ont alimenté la méditation du chrétien plus, peut-être, que celle du poète. Présentés comme l’analogue des répons de la liturgie, ils veulent avant tout restituer la conversation intime et familière du fidèle avec Dieu. Écartant tout souci d’exactitude et de beauté formelle, Claudel affirme apporter un écho très libre à l’original, une prière âpre et violente. C’est dans ce même esprit de dialogue avec la parole divine que l’exégète parsème ses commentaires bibliques de traductions très personnelles données à l’occasion de tel ou tel passage particulièrement marquant.
Création et traduction sont indissociables chez Claudel, dont l’œuvre offre un véritable kaléidoscope, très moderne, de toutes les pratiques d’écriture. Les traductions, notamment celles du grec et du latin, ont nourri les créations claudéliennes, le théâtre surtout. Elles représentent par ailleurs en elles-mêmes un travail de création littéraire à part entière.
 
Pascale ALEXANDRE-BERGUES
UNIVERSITÉ DE PAU

 
Bibliographie :
Pierre Brunel, « Claudel, Valery Larbaud et les problèmes de la traduction », Valery Larbaud. La Prose du monde, éd. Jean Bessière, PUF, 1981, p. 163-175.

Paul Claudel & Valery Larbaud, « Correspondance », éd. Françoise Lioure, Cahiers de l’Herne. Paul Claudel, n°70, 1997, p. 399-420

Pascale Alexandre, Traduction et création chez Paul Claudel. L’Orestie, Champion, 1997.

Pascale Alexandre, « Les écritures claudéliennes dans les Psaumes », Écritures claudéliennes, Actes du colloque de Besançon, 27-28 mai 1994, Lausanne, L’Age d’Homme, 1997, p. 32-43.

Marie-Ève Benoteau-Alexandre, Les Psaumes selon Claudel, Champion, 2012.